Les grenouilles

Posted by Aldine on 22 août 2015 in |

Vers deux heures, après la sieste, le barbier s’était remis en route.

L’air jeune encore, et guilleret malgré ses quarante ans passés, le petit bassin et le morceau de savon de Marseille enfouis dans la poche de sa veste de velours gris, et, sous cette veste, cernant les reins, la luisante ceinture de cuir, d’où sortaient les manches des rasoirs et les yeux oblongs des ciseaux, il faisait ainsi, quatre fois par semaine, de son pas rapide et ferme d’ancien militaire, le vaste tour des différents hameaux du village.

Il entrait dans presque toutes les métairies, dans presque toutes les maisonnettes où il y avait des hommes. D’une main habile il les savonnait, les rasait, il disait ou écoutait complaisamment les petits commérages du jour, empochait régulièrement son sou par barbe, et repartait.

Lorsque cela coïncidait avec la direction de sa tournée, il prenait le repas de midi chez lui, en famille ; le plus souvent il se contentait d’une tranche de lard sur un morceau de pain noir, qu’il avalait en route, entre deux fermes, sans même s’arrêter.

Sa besogne durait ainsi toute l’après-midi, jusqu’à la nuit tombante. Alors il revenait vers sa cabane, sa solitaire petite cabane de chaume, cachée derrière le parc du château, faisait manger sa vache et son cochon, mangeait lui-même avec sa femme et ses enfants, repassait encore, à la lueur d’une lampe, ses rasoirs en fumant sa pipe, et se couchait.

Le lendemain, dès l’aube, il était dans son champ, bêchant, sarclant, fauchant, peinant sans perdre une seconde. Et, vers neuf heures, après un déjeuner sommaire, il repartait, pour recommencer, dans une autre direction, sa harassante tournée.

Voir le PDF


Genre: Conte
Série: années 1890 |

Copyright © 2015-2024 Aldine All rights reserved.
This site is using the Desk Mess Mirrored theme, v2.4, from BuyNowShop.com.